RECONNAISSANCE DE LA SENSIBILITÉ ANIMALE : PROGRÉS ET DÉNI

L’assemblée nationale vient enfin d’approuver l’ « amendement Glavany » du code civil qui reconnait la sensibilité animale. De « biens meubles », c’est-à-dire d’objets concrets dont l’existence peut être appréhendée par les sens et qui sont susceptibles de déplacement comme une voiture par exemple, les animaux acquièrent avec cet amendement un statut d’ « êtres vivant doués de sensibilité ». La reconnaissance des animaux progresse incontestablement mais le déni des implications de ce nouveau statut sur la façon de les traiter demeure malheureusement la règle.

 

L’éthologie, les neurosciences, l’imagerie médicale révèlent jour après jour le monde mental sophistiqué des animaux. Parmi de nombreux exemples, une étude de neuroscientifiques hongrois en 2014 a permis d’identifier dans le cortex cérébral des chiens des zones liées à la reconnaissance des voix extérieures très similaires à celles découvertes chez l`homme en 2000. Ces zones leur permettent de reconnaitre ce que nous ressentons et que nous exprimons à travers notre voix comme de la joie ou de la tristesse. Sur le plan légal aussi, la reconnaissance des animaux progresse. Outre l’amendement Glavany en France, les lignes bougent également dans d’autres pays. En décembre dernier, un tribunal argentin accordait le statut de « personne non humaine » à un orang-outang du zoo de Buenos-Aires et lui reconnaissait le droit à la liberté. Mais alors qu’attendent nos sociétés pour réellement revisiter sa façon de traiter les animaux ?

 

Au centre du débat se trouve l’ancien concept d’humanisme anthropocentrique, selon lequel l’exception humaine justifierait l’exploitation par l’homme des autres espèces animales pour son seul bien-être. Depuis les anciens philosophes occidentaux jusqu’à Pascal en passant par la tradition judéo-chrétienne, tuer des animaux pour les manger allait de soi. A part quelques exceptions comme Pythagore ou Plutarque, personne ne semblait remettre en cause le dogme. Il fallut attendre le XX siècle avec des philosophes comme Jacques Derrida et sa déconstruction du propre de l’homme pour questionner sérieusement le droit que s’octroie l’homme d’exploiter, tuer et manger les autres espèces animales hors du champ de la morale. Des philosophes contemporains comme Elisabeth de Fontenay affirment clairement maintenant qu’ « Il n’y a aucun fondement philosophique, métaphysique, juridique, au droit de tuer les animaux pour les manger. C’est un assassinat en bonne et due forme, puisque c’est un meurtre fait de sang-froid avec préméditation. ».Et pourtant à ces avancées philosophiques, scientifiques et juridiques, la société continue d’opposer un déni pathologique. L’ignominie de l’élevage industriel continue au risque  d’une « dégradation non seulement de l’animal, mais aussi de l’humain à travers ces pratiques » (Dominique Lestel, philosophe et éthologue).

 

Cette scotomisation atteint des proportions inquiétantes : à Chicago, une étude a mon­tré que 50 % des enfants des classes moyennes ne faisaient pas le lien entre le hamburger et un animal. Quelles en sont les causes ? Bien sûr, l’héritage culturel de la consommation de la viande remontant au néolithique est avancé, les difficultés pratiques au quotidien pour passer à une alimentation végétarienne sont décourageantes. Mais regardons la réalité en face, l’industrie de la viande a pris une telle dimension dans nos sociétés et a acquis un tel pouvoir de lobby qu’il ne faut pas aller chercher très loin les acteurs qui ont intérêt à ce que nous occultions nos consciences qui s’éveillent. Il faut lire la remarquable enquête de Fabrice Nicolino « Bidoche : l’industrie de la viande menace le monde » pour rejoindre la tribu de ceux qui savent. Seulement un chiffre pour prendre la mesure de cette réalité. 70% des terres arables dans le monde sont accaparées par les activités liées à l’élevage.

 

Si les arguments scientifiques, légaux et philosophiques ne suffisaient pas encore à nous inviter à repenser notre façon de traiter les animaux, nous pourrions y ajouter l’argument écologique. La dérive de nos  méthodes d’élevage ont des répercussions globales désastreuses sur notre environnement et ne sont pas durables. Au moment de penser à la sécurité alimentaire de la population mondiale, gardons en mémoire qu’il faut entre 7 et 9 calories végétales pour obtenir 1 calorie animale.

 

Il semble inéluctable que nos sociétés revoient la place qu’occupent les animaux, ainsi que la relation que nous entretenons avec eux. La dérive a été si longue et si profonde que le processus prendra du temps. Peut-être, l’impact le plus évident de l’amendement Glavany est qu’il ouvre un espace de débat que nous pouvons et devons investir non seulement pour le respect des animaux mais également pour notre propre bien-être.

Xavier

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