De Bobby à Lychee. Avons nous changé notre regard sur les animaux?

Six heures du matin sous les tropiques, le jour se lève. Je sens son souffle dans la chambre, ses griffes martèlent le parquet et Lychee vient se coucher à côté du lit. Il cherche ma main et pose sa patte avant droite sur mon poignet gauche. Il n’a de cesse de trouver la position idéale qu’il recherche avant de s’endormir à nouveau.

 

Six heures du matin sous les tropiques, France Culture, je m’accorde une pause en français avant de plonger dans un monde hispanophone. J’écoute une émission sur Emmanuel Levinas, le philosophe pour qui, c’est la rencontre frontale avec l’autre qui nous élève à la condition de personne et qui nous place en position d’infiniment obligé vis-à-vis de cet autre.

 

Six heures du matin sous les tropiques, l’esprit encore embrumé, la patte de Lychee sur mon poignet et la voix d’Emmanuel Levinas dans mon oreille, je me demande si mon chien est un autre pour moi ! Un coup d’œil au regard de Lychee qui vient de se réveiller et qui me toise maintenant dans la lumière du matin suffit à m’apporter la réponse. Bien entendu cette altérité est différente de celle d’un autre homme et il me faut faire preuve d’une grande imagination pour me représenter les émotions de Lychee. Mais il est certain que  je vis aussi grâce à son regard, ce qui me donne des obligations à son égard. Une évidence !

 

Et cependant, en 1986, quand Emmanuel Lévinas répondait à la question de savoir si les animaux ont des « visages », il avouait son incapacité à se prononcer. Il avait pourtant raconté l’histoire d’une rencontre avec un chien errant du nom de Bobby, lorsqu’il était  prisonnier des camps de concentration nazis. Alors que d’ « autres hommes » le traitaient en être inférieur, que des femmes et des enfants le « dépouillaient de (sa) peau humaine », seul Bobby gardait un comportement habituel avec lui, jouant et aboyant comme à son habitude « pour lui – c’est incontestable – nous fûmes des hommes ». Mais malgré Bobby, Emmanuel Lévinas ne s’est jamais départi de la tradition philosophique occidentale qui voit dans l’animal un être, incapable de pensée, une simple mécanique (Alexandre Lacroix).

 

En 1986, je terminais un Doctorat de Pharmacologie et baignais dans l’anthropocentrisme ambiant  plaçant l’homme au centre de l’univers.  Les mouvements écologiques avaient bien commencé à ébranler le dogme sérieusement, mais formaté par les Universités de médecine, l’animal était pour moi un modèle qui devait permettre de mieux comprendre la biologie humaine. 28 ans après, reconnaissant un « autre » dans Lychee, je mesure le chemin parcouru et me demande si notre société a aussi profondément changé son regard sur les animaux.

 

Pour Boris Cyrulnik, médecin et éthologue, notre société a définitivement évolué en faveur de la condition animale,  grâce notamment à l’essor de l’éthologie, la science du comportement animal, avec  Konrad Lorenz, Nicolaas Tinbergen et Karl von Frish qui ont tous les trois reçu le prix Nobel de médecine pour leurs travaux en 1973. Depuis l’éthologie ne cesse d’apporter les preuves de l’existence d’un monde mental sophistiqué chez les animaux. Les performances extraordinaires de la neurologie et de l’imagerie médicale permettent maintenant  de mettre en évidence qu’un animal peut adapter ses réponses comportementales à une représentation et non pas seulement à une perception. Bref, les preuves scientifiques sont là, irréfutables : il n’est plus possible de considérer l’animal, comme une machine qui ne répondrait mécaniquement qu’à des stimulations extérieures, incapable de souffrir, de ressentir des émotions, de se représenter la mort, de devenir fou etc…

 

Mais si notre société accepte maintenant du bout des lèvres de reconnaître les animaux comme des êtres sensibles,  elle n’est pas encore prête à en accepter les conséquences. 50 milliards d’animaux sont massacrés chaque jour dans les abattoirs du monde entier dans des conditions proches de la barbarie. Près de 75% de l’activité agricole en Europe est au service des fermes- usines  où l’animal est juste considéré comme une machine thermodynamique  destinée à transformer de l’énergie en viande et où sa véritable nature est ignorée à dessein.

 

Allez ! La route est encore longue et le jour s’est levé maintenant.

 

Vamos Lychee.

 

Xavier

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