Produits antipuces: l’efficacité à tout prix ?

L’introduction, dans les années 90, de deux nouvelles classes d’insecticides, les néonicotinoïdes tel l’ imidaclopride et les fiproles comme le fipronil,  a permis la mise au point de produits anti-puces pour les chiens et les chats d’une remarquable efficacité et d’un confort d’utilisation exceptionnel.  Ces deux familles d’insecticides se retrouvent aujourd’hui dans la grande majorité des produits anti-puces. Mais après vingt ans d’utilisation, il est établi que ces molécules posent des problèmes d’inocuité pour les animaux, pour les personnes vivant à leur contact et pour l’environnement.  De plus, comme dans le cas des antibiotiques, des phénomènes de résistance sont apparues qui limitent maintenant l’efficacité de ces produits. Pour comprendre  cette évolution, il faut revenir sur le processus de recherche qui a conduit à leur découverte.

 

Les néonicotinoïdes et les fiproles sont des pesticides issus de la recherche agro-chimique. Leur premier objectif est une utilisation en agriculture et leur application comme antipuces pour les chiens et les chats est apparue comme une indication dérivée. Lorsque l’industrie agro-chimique recherche de nouveaux insecticides, elle entend découvrir et synthétiser des molécules qui soient actives sur les insectes à faible dose pour éviter d’avoir à produire et à appliquer en champs des volumes importants, qui aient un spectre d’activité large pour ne pas avoir à développer de nombreuses molécules afin de  couvrir la grande variété d’insectes nuisibles qui s’attaquent au cultures, et qui soient extrêmement résistantes aux conditions climatiques afin que elles ne soient pas détruites par le soleil ou la pluie pour conserver leur activité le plus longtemps possible. Avec ces objectifs en tête et les techniques de chimie combinatoire, la recherche agro-chimique produit des milliers de molécules nouvelles, les teste et ne retient que les meilleurs candidats.

 

Les néonicotinoïdes et les fiproles sont les dignes représentants de ce type de recherche. Ces molécules ont été sélectionnées pour leur toxicité sur les insectes, près de 5.000 à 10.000 fois plus à poids égal que le DDT. Elles agissent donc à très faibles doses. Elles s’attaquent au système nerveux des insectes en se fixant sur des récepteurs que de nombreuses espèces ont en commun : elles ont donc un spectre d’activité très large. Enfin les chimistes leur ont conféré des propriétés de stabilité remarquable leur permettant de résister aux différentes conditions climatiques et de rester actives pendant une longue période.  Ce profil idéal pour la lutte contre les insectes nuisibles qui s’attaquent aux cultures se transforme en un cauchemar toxicologique pour les insectes non nuisibles, pour les mammifères y compris l’homme et l’environnement.

 


Un groupe de chercheurs, organisé au sein de  « the task force on systemic pesticides » a analysé ces quatre dernières années plus de 800 articles scientifiques sur l’effet des néonicotinoïdes. Les résultats qui seront publiés en juillet de cette année rendent ces familles de pesticides responsables au moins en partie d’une réduction phénoménale à l’échelle de la planète des populations d’ insectes nuisibles et non nuisibles pour l’agriculture, mais aussi d’invertébrés aquatiques ou du sol et également des oiseaux communs. La réduction des populations d’abeilles impactant dangereusement la pollinisation des plantes n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Les doses actives extrêmement basses de ces pesticides, leur accumulation dans l’environnement du à leur résistance à la dégradation et une utilisation massive, sont responsables de cette hécatombe.  Leur temps de demi-vies dans l’environnement, c’est-à-dire le temps nécessaire pour que leur concentration soit divisée par deux, est de plusieurs mois voire plusieurs années. La « task force » a produit cette vidéo de communication avant la publication complète de ses résultats.

 

Source d’inquiétude supplémentaire, les néonicotinoides et les fiproles sont fréquemment portés par des agences officielles comme l’EPA (l’agence de la protection de l’environnement aux Etats-Unis) ou les organisations non gouvernementales comme le World Wildlife Fund WWF   sur la liste des substances chimiques soupçonnées d’avoir des effets perturbateurs endocriniens. Ce sont des molécules qui sont susceptibles de modifier l’équilibre hormonal chez l’homme comme chez de nombreuses espèces animales et d’avoir des effets indésirables sur la croissance, le développement, le comportement ou l’humeur. Elles agissent à très faibles doses suite à des expositions prolongées.  L’Alliance pour la santé et l’environnement a récemment mise en ligne une nouvelle étude sur l’impact des perturbateurs endocriniens sur le système de santé français.

 

La question que nous posons alors est la suivante : est-il donc raisonnable d’utiliser les néonicotinoïdes et les fiproles pour traiter les puces et les tiques des chiens et des chats? La question est légitime au regard du fait que ces pesticides n’ont pas été conçus à l’origine pour ces applications mais pour des utilisations agricoles qui répondent à des challenges d’infestations d’insectes sans commune mesure avec celles que l’on trouve sur les chiens et les chats. La question est légitime au regard des profils toxicologiques de ces molécules et des risques potentiels pour les animaux, l’homme et l’environnement. La question est légitime au regard des doses auxquelles cette utilisation sur les chiens et les chats nous expose, qui peuvent être largement supérieures à celles provenant des résidus trouvés dans l’alimentation (cf étude l’AFSSA sur le fipronil). La question est légitime au regard de la bioaccumulation des résidus de ces molécules dans l’environnement très protégé de nos maisons ?

 

Le débat est ouvert sur Arcaforums.

 

Xavier

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